L’austère façade du manoi

Après une histoire mouvementée, ce lieu magique mi-breton, mi-austral, retrouve une nouvelle vie tout en sérénité et richesse botanique !

Dans le pays de Tréguier, dans les Côtes-d’Armor, coule le Jaudy, petit fleuve côtier. En 1880, Aristide Talibart est immobilisé sur son bateau au milieu du fleuve. De retour de Constantinople, il attend la fin de la quarantaine comme c’est de rigueur à l’époque. Ce séjour lui permet de prendre la mesure de la beauté du paysage. Il décide de s’installer sur le surplomb rocheux s’étendant sur sept hectares et demi, et il y fait édifier un manoir unique.
Ce sera une construction toute de granit et de schiste, à présent classée « monument historique ». Aristide Talibart fait tailler, à flanc de roche, des lacets, des canaux et un bassin qui desservira un système d’irrigation élaboré destiné aux plantations d’arbres rares. Le sol, par la présence de la roche à fleur de terre, est très sec en été et ce n’est qu’à l’aide de canalisations forcées que la végétation prend de l’ampleur. Les décennies suivantes, le lieu change de mains à plusieurs reprises.

Sombres turpitudes

Il se retrouve au début de la Seconde Guerre mondiale, entre celles du propriétaire du Moulin rouge. Bien que le romantisme des lieux demeure, aux alentours, c’est bel et bien la guerre : une base d’hydravions a pris place sur le Jaudy. À Paris, l’occupant prend du bon temps, le meilleur accueil lui étant réservé dans le cabaret. Convaincu de collaboration à la Libération, le propriétaire est dépossédé de son éden, qui est racheté en 1947 par le marquis Yann de Keroüartz.

Depuis, le Kestellic coule des jours plus tranquilles. Le nouvel occupant préfère la botanique au french cancan et entreprend des plantations, surtout à partir de 1970. Il cherche, comme Talibart, des végétaux sortant de l’ordinaire. Au total, pas moins d’un demi-millier d’arbres seront installés dans le domaine. Planté densément, le parc finit par se couvrir d’une épaisse canopée.

Les lauriers, les chênes verts et le houx envahissent les sous-bois ; les aires ensoleillées plongent dans l’ombre. En 1987, la tempête sème la désolation en Bretagne, et le parc du Kestellic n’y échappe pas. Gaël de Keroüartz, le fils, décide alors de reprendre la végétation en main. Pour cela, il fait appel à Patrice Bathiany, jardinier du célèbre jardin de Kerdalo, distant de quelques kilomètres. Ensemble, les deux passionnés du lieu vont se lancer dans un débat ferme : on discute, on négocie… et puis finalement, les tronçonneuses parlent.

D’abattage en défrichage, les travaux ont permis de découvrir des merveilles botaniques et de nombreux rejetons des arbres de collection. Là où régnaient d’envahissants persistants, la diversité botanique a repris ses droits.

Plantes des cinq continents

Et surtout, la place ainsi libérée a permis à Patrice Bathiany d’installer une incroyable diversité de plantes venues des cinq continents, rappelant les jardins de Cornouailles, en Angleterre.

Le parc bénéficie du label « Jardin remarquable », tant pour sa valeur esthétique que botanique. Ce n’est pas seulement, comme on le voit trop souvent, parce qu’il s’agirait d’un jardin de propriété classée. L’espace, pour une meilleure gestion des plantations et afin de créer des ensembles cohérents, a été découpé en secteurs géographiques. Ce n’est pas en été qu’il est le plus fleuri : les essences exotiques s’épanouissent de façon décalée, de l’automne à la fin du printemps.

Magique, le bas vallon

En arrivant, le visiteur traverse un étonnant vallon d’hydrangéas plantés en sous-bois et anciennement exploités pour la fleur coupée. Puis il s’enfonce dans un petit val abritant une collection d’hydrangéas et de plantes de Chine. Plus loin, se laissant glisser vers la pente, il traverse une collection d’érables asiatiques.

Si le visiteur poursuit son chemin, derrière les bâtiments, il se retrouve dans le bas vallon, un recoin frais devenu un véritable paradis des fougères en arbre. Un escalier de bois de 70 m de long, récemment aménagé, permet d’ailleurs d’avoir la tête dans les frondes et de circuler comme en lévitation au-dessus de cette lisière.

Au pied de la maison, l’aménagement d’époque, une cour ronde abritant une fontaine, a été conservé. Les myrtes séculaires ont été taillés de façon à accentuer leur port tortueux tout en préservant la vue sur Tréguier et la vallée du Jaudy. De vénérables ifs taillés encadrent un escalier. Après avoir franchi un porche ancien frappé d’une inscription, il mène, en sous-bois, sur la rive calme du fleuve à un minuscule débarcadère. Et l’on se perd à imaginer les hydravions décollant du Jaudy, le passage des locomotives du Chemin de fer des Côtes-du-Nord, des misainiers en pleine pêche… Une goulée d’iode après la botanique !

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